Sami cours comme si sa vie en en dépendait. Depuis le confinement, il multiplie bêtises et cachoteries en tous genres, il faut bien avoir une vie quand on a cinq ans.
Cette fois-ci, il vient d’anéantir un énième vase couteux, un vase de trop, une sotterie de trop. Son père, cet homme d’habitude paisible et posé lui cours après, à la manière d’un braconnier qui vient de tomber sur un paon albinos. Il est essoufflé mais il tiens la cadence grâce au combustible qu’est la colère, celle de la raclée qu’il va infliger à son fils sous peu. Il faut le comprendre, avec le confinement, la scolarisation à distance, les repères se brouillent, les nerfs se tendent et la patience s’amenuise.
Ainsi, père et fils dévalent les marches des escaliers de la maison dans une course effrénée. Les pas du petit font écho aux pas sombres de son géniteur, aveuglé par l’ébullition de ses sens. Ils se retrouvent au sous-sol en deux temps trois mouvements, puis il continuent leur course.
Sa mère, restée à l’étage, fournit un appui tactique à son mari : « Abdelhakiiiiim, il est entré dans les toilettes », « Abdelhakiiiiim il se dirige vers le garage», « Abdelhakiiiiim il est en train de t’échapper », etc. Formée à la NSA, pro-créatrice des méthodes du KGB, la mère marocaine est capable de savoir en temps de crise où se trouve sa progéniture, surtout quand celle-ci est en cavale. L’opération : « capturer le soldat Sami » va bon train : la mère localise et le père traque, les tâches sont équitablement partagées dans ce foyer.
Sandale en main, Abdelhakim gagne du terrain. Sa cible est bientôt à portée de tir. Le premier tir de sandale est un assaut tactique, il vise à déséquilibrer le fugitif. Une fois étourdi ou au sol, il sera travaillé à la ceinture ou au ceinturon suivant la gravité de l’infraction commise. Souvent, le simple fait de brandir la ceinture suffit à faire l’affaire, l’idée de la douleur fait souvent plus mal que la douleur elle-même. En tous cas c’est ce que Abdelhakim a appris à l’académie des parents, c’est-à-dire sa propre enfance.
Sami court à n’en plus toucher le sol. Son fin limier de père ne lâche rien, et lui non plus. Sami n’aime pas qu’on le tape, même avec amour, même pour « son bien », ou « son éducation », ce sont pour lui des excuse bidons que les parents brandissent lorsque leurs mains vieillissantes les démangent. Preuve en est, ce genre de situation n’arrive jamais quand sa grand-mère est là. Autorité tutélaire suprême, elle met un terme à toute activité anti-Samite dans la maison et lui accorde l’immunité diplomatique sur à peu -près tout. Mais bon, voilà, elle aujourd’hui elle n’est pas là.
Le mandat d’arrêt qui court contre lui est certes justifié, mais il ne peut pas se livrer aux autorités, question d’honneur.
Son père finit par balancer une sandale sur Sami, celle-ci il le loupe d’un cheveu. Sentant l’imminence du danger, le fugitif fait tomber une lampe sur pied pour entraver son sillage. Celle-ci vient fouetter le sol dans un fracas tonitruant. Une bêtise de plus à son actif. Depuis son QG, sa mère fait monter la mayonnaise en jouant sur les émotions de son mari : « Je t’avais dit qu’il devenait incontrôlable, il est en train de tout casser, attrape le ! »
Sami étudie toutes les issues possibles mais il n’y en a pas, cette fois c’en est fait de lui. À court de planques et d’idées, il est à deux doigts de la capitulation.
Mais parfois, le hasard, cet appui invisible de l’au-delà, vient dénouer les situations les plus enchevêtrées :
Voyant un tapis de prière à sa portée, Sami s’en saisit, l’étale, et commence à prier. Son père – qui était à deux doigts de s’emparer de lui –, s’arrête net, désarçonné. C’est un homme profondément pieux qui ne transgresserait jamais une prière, fût-elle instrumentalisée, et ça, Sami le sait. Il tourne en rond pendant que son fils prie, il s’assoie pendant que son fils prie, et après un temps, il se calme pendant que son fils prie.
Sami est à ce moment pareil à Ghandi, il vient de vaincre la violence par la foi.
La voix de sa mère se fait entendre depuis l’étage :
- Abdelhakim, tu l’as attrapé ?
- Non, il fait la prière.
- Quoi ?
- Ce petit con vient de rentrer dans l’Islam.
Sami a demandé l’asile à Dieu, il le lui accorda. Il est entré de plain-pied dans la grâce du tout haut. Tant qu’il continue à prier, Sami est intapable. Ainsi, de prières fiévreuses en prosternations surérogatoires, Sami fait couler le sablier du temps qui fait se dissiper toutes les colères, même les plus ténues. Avait-il seulement fait ses ablutions ?
Était-il sincère de repentance pour les bêtises qu’il avait commis ? Nul ne peut scruter son cœur, nul ne peut examiner sa foi.
Deux heures plus tard, sa mère vient déclarer l’armistice. Il s’en sort avec une tape sur la tête, un bon goûter, et une histoire à raconter (celle-ci même que je conte). Ses parents, furieux au départ, sourient intérieurement, pas peu fiers d’avoir mis au monde un petit démerdard comme Sami.
Sami, c’est le fils de ma cousine. C’est un brave garçon, qui, je suis sûr, ira loin.
Excellent . Excellent..
merci mon ami.
J’ai bien rigolé. Un vrai Sami la malice !! Je lui décerne le diplôme honoris causa de l’académie PJD
Au moins, oui 🙂