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Longtemps pendant ma petite enfance, j’avais cru – preuves à l’appui – que ma mère faisait partie d’un corps d’élite en arts martiaux. En grandissant, et ayant étendu le périmètre de mes observations, j’ai découvert que toutes de mamans de notre entourage jouissaient plus ou moins du même privilège : elles étaient toutes autant douées dans l’art de la frappe efficace.

Savoir bien taper était dans les gènes de nos mamans, ça leur venait naturellement avec leur passeport Marocain. Lorsqu’il s’agissait de nous punir, elles faisaient en effet montre d’une maitrise rare de l’art du combat rapproché, de l’intimidation et de la guerre psychologique. C’est comme si  Bruce Lee et Poutine avaient eu des filles cachées. Quand on devait payer le prix d’un écart de conduite, on avait droit à des « protocoles » de punition qui ne sont enseignés dans aucun dojo au monde. Elles les administraient de manière spontanée, ignorant que celles-ci relevaient du grand art et surpassaient de loin les techniques d’interrogations les plus « poussées » du KGB .

En voici un exemple :

  • Phase 1 : L’approche tactique : tirage d’oreille jusqu’à la limite de la rupture : tu te mets à pleurer et tu t’avances vers ta mère pour soulager ton mal.
  • Phase 2 :  La prise d’otage : ton pied est désormais à la portée du sien, elle marche dessus pour te garder captif ; tu pleures encore plus, sachant qu’il n y a désormais plus d’issue à ton calvaire.
  • Phase 3 : L’intimidation psychologique :  elle se met à brailler dans ton oreille dans une fréquence proche de celle d’un dauphin en ruth : « ach derti  tani a weld lhraaaaam » (qu’est t’as fait encore salopard). Ton tympan lâche, tu n’entends plus qu’un acouphène.
  • Phase 4 : Combo psychosomatique :  elle lâche ton oreille, enchaine sur une claque globale (qui couvre la joue et empiète sur l’oreille), avant de te la reprendre. Pour rappel, ton tympan était déjà foutu à la phase 4. Là, c’est l’oreille interne qui viens de prendre cher. Désorienté, tu essaies de t’asseoir pour reprendre tes esprits, peine perdue, tu es toujours suspendu par ton oreille, et donc obligé de rester sur la pointe des pieds. Et là, c’est le coup de grâce. Elle te douche avec une symphonie d’insultes culpabilisantes bien ciselées : « wach bghiti tsettini », « farrejti fina nnass » « ki ghadi ndir m3ak ?» (tu vas me rendre folle, qu’es-ce que je vais faire de toi ,etc.). Et c’est là que tu te mets à culpabiliser. Tu jures que ça sera « la dernière fois » ! Malmené, les sens saturés, tout ce que ta mère  te dit à ce moment s’incruste avec la violence d’un calibre .38 dans ton inconscient, c’est comme de l’hypnose mais avec des baffes. C’est le conditionnement façon DLM. Avec un peu de chance (et 20 ans de thérapies coûteuses), tu pourras un jour te sentir déculpabilisé et peut-être même eprouveras-tu un jour de l’amour à ton propre égard.

Les phases de 2 à 4 peuvent être répétées indéfiniment, et ce, jusqu’à l’anéantissement psychologique et/ou physique du sujet, voire sa mort provisoire. Tes larmes et ton nez coulent sans répit ; tu avoues que tu es l’assassin de Kennedy, que tu as brisé le nez du sphinx, et que tu es à toi seul responsable du réchauffement climatique ; tu veux juste que ça s’arrête.

Je décris là la première technique ou combinaison qui m’est passée par la tête, et il y’en a des dizaines. Exemple : le lancer des sandale qui fait mouche à tous les coups, c’est pas un truc de forces spéciales, ça ? Tu le reçois entre les yeux même si tu es de dos, loin de l’origine du tir, et qu’il y a deux portes fermées entre vous. Nos mères devraient donner des cours au pentagone sur la notion de la frappe chirurgicale. On dirait vraiment qu’elles ont été formées pour ça, que le kung-fu éducatif a été transmis de mère en fille depuis que la femme Marocaine fût créée.

Quand on n’arrivait plus à s’arrêter de pleurer après avoir reçu une correction salée, ça les agaçait : « qtaâ lhess » (coupe ton souffle) qu’elles nous disaient en rapprochant leur tête de la nôtre jusqu’à nous frôler, leurs yeux sortant pratiquement de leur orbite. Parfois ça on s’arrêtait, parfois on n’arrivait vraiment plus à arrêter de gémir, et, fait surprenant : après une soirée faite de pleurs consécutifs à une raclée, je dormais exceptionnellement bien. Peut-être que ces larmes, bien que provoqués par les dents de la mère, venaient laver d’autres maux plus profonds chemin faisant. En tous cas, c’était toujours ça de gagné.

Pour faire passer la pilule, nos mères avaient des adages taillés sur mesure du style « c’est comme ça qu’on a tous été élevés » ; ou alors « Les endroits où les parents t’ont tapé ne bruleront pas en enfer ». La belle augure !

Parfois, la mise en scène était encore plus dramatique que la punition elle-même. Quand on avait fait une bêtise de gros calibre, il arrivait qu’on nous envoie chercher un bâton spécifique (ou une branche d’olivier, suivant la saison) pour nous faire administrer la douleur. C’était un moment particulièrement sinistre : on allait d’un pas très peu résolu chercher le sceptre de notre désarroi et revenions le plus tard possible avec ledit outil en titubant sur des jambes liquéfiées, en espérant que la colère se soit tue ou tarie, chose qui n’arrivait jamais. Plus douloureux de la correction elle-même, ce moment était à lui seul psychologiquement éprouvant. Mais voilà, dans la charte du kung-fu des DLM, corps et esprit doivent être malmenés de manière équitable.

C’est comme ça.

Finalement, pendant que tu pleurais, que tu te vidais de ton sel pour donner du sens à ta raclée fraîchement subie, tu t’entendais dire sur un ton tout aussi autoritaire mais cette fois teinté d’apaisement : « viens-ici » ; tu t’avançais vers ta mère en titubant. Sa main était tendue vers toi, la paume vers le bas, signe que tu devais la baiser, comme pour valider sa méthode. Sitôt fait, elle te prenais dans ses bras pour que vous puissiez faire la paix. Tu pleurais encore de plus belle, elle te consolait. Dans les bras celle qui fut ta bourrelle et qui est devenue ta maman, tu ne savais plus si tu étais en train de te plaindre ou d’en vouloir à cette même personne qui t’enlace. Cette personne que tu aimes le plus au monde.