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Un matin que je prenais mon café au café de France, place des Nations Unies, j’ai vu passer une fille. Elle était exceptionnellement jolie ! Que dis-je ? c’était une bombe nucléaire, un avion de chasse, l’amirale de flotte des nanas bien gaulées ! Elle était d’autant plus jolie qu’elle contrastait de manière troublante avec le décor, principalement fait d’énergumènes peu gâtés par la nature  .

Je me suis mis à me sucrer les yeux de ses courbes en nourrissant des pensées salées. Le café de France, principalement fréquenté par des hommes – retraités de naissance pour la plupart – se mit à bouillonner. Autour de moi, les commentaires pleuvaient, les appréciations salaces rivalisaient d’imagination et certains messieurs d’apparence respectable se sont mis à hennir.

Soudain, j’ai cru sentir une présence sur ma droite. Un gars était planté là, il me dévisageait sévèrement, depuis un moment je pense. Il avait l’allure et le dress code d’un contrôleur de l’ONCF mais en plus farouche. Solennel comme une tombe, lugubre comme la mort, on sentait qu’il allait vous tomber dessus d’une seconde à l’autre, comme un fait du destin. Il tapotait sur un appareil hi-tech qu’il tenait entre les mains, comme pour s’assurer de mon signalement avant de passer à l’action. Il s’exprima enfin :

– Pourquoi tu penses à ça ?

– Penser à quoi ? et puis vous êtes qui monsieur ?

– Il faut arrêter maintenant mon petit pote. Je suis de la police des pensées, brigade de répression des pervers.

– Sérieux ?

– J’ai l’air de blaguer ? Allez hop tes papiers.

– Mais si, tu blagues ! Où est la caméra ? Et puis, je pensais à quoi d’ailleurs ?

– « %=$* §*K», regarde c’est écrit sur mon écran ! Pervers va !

Stupéfaction ! L’appareil affichait fidèlement ce à quoi je pensais, images à l’appui. Il m’expliqua d’un air grave qu’avec ces histoires de harcèlement des femmes, le gouvernement avait lancé une initiative de prévention du harcèlement à la source, c’est-à-dire dans le cerveau des mecs.

– Ah ouais, merde ! et vous faites ça comment ?

– Tu vois cet appareil mon p’tit pote ? ça vient tout droit de Miricane[1], c’est le détecteur des pensées impures.

– Attends une seconde. Tu vois tous ces mecs derrière moi ? Ils ont au bas mot cent fois plus de cochonneries dans le crâne que moi, pourquoi tu t’en prends pas à eux ?

– On n’a pas encore étalonné l’appareil pour les pensées en arabe, et ici, tu es le seul à fantasmer en français.

– Ne soyez-pas pressés de l’étalonner cher monsieur, il risque de vous exploser entre les mains !

Pas même l’esquisse d’un sourire. Détendre l’atmosphère avec cet énergumène n’allait pas être une mince affaire. J’essayais quand même de me renseigner sur cette histoire de brigade de je-ne-sais-quoi.

– Comment ça se passe pour les amendes ?

– On a un système de quota hebdomadaire au-delà duquel on verbalise. Ça fait un moment que je t’ai à l’œil mon p’tit pote. C’est la troisième fois que tu fantasmes sur des innocentes cette semaine.

– Déjà y’a pas d’innocentes dans ce domaine monsieur le flic ! Pas plus que vous et moi. Et puis votre appareil est défectueux monsieur… monsieur le quoi déjà ?

– Brigadier adjudant-chef général de corps d’armée Khichpich. Nos appareils sont infaillibles mon p’tit pote, ils sont fournis par le ministère de l’intérieur.

– Ministère de l’intérieur de quoi ?

– De l’intérieur de ta tête, mon p’tit pote !

– Et vous êtes combien d’officiers dans ce corps Général Khichpich ?

– Je suis le premier d’une phase pilote.

– Ah ben voilà, d’où l’erreur. Vous avez encore des ajustements à faire avec à vos appareils.

Il eut un moment de doute, je gagnais du terrain. Tout Général qu’il était, Khichpich demeurait un simple fonctionnaire gonflé à bloc par une inflation des grades. Il ne comprenait rien à cette technologie de cafteurs d’Américains. J’essayais tant bien que mal de faire durer la discussion, en espérant que ça allait diluer l’amende.

– Vous avez un dispositif équivalent pour les femmes ? Il y’a des pervers partout vous savez !

– Non, on n’en a pas ! Dans la formation, ils nous ont dit qu’ils ont essayé de développer une technologie similaire, mais sans succès.

– Pourquoi donc mon Général ?

A s’entendre appeler Général il se gonfla d’orgueil, ordonna ses pensées, puis il reprit en s’appropriant le discours qu’on avait dû lui prémâcher.

– Tu vois mon petit pote, pour ce qui est des cochonneries, le cerveau d’un mec est assez basique. Il y a besoin que deux neurones se connectent, mon appareil clignote et hop c’est plié. Tu vois ce que je veux dire ?

– Clairement !

– Pour les nanas, c’est plus compliqué, elles sont plus cérébrales, qu’ils nous disent à la formation. Trop de neurones impliqués, trop de subtilités, un vrai casse-tête même pour les scientifiques de Miricane.

A ce moment-là, fait rarissime, la belle méditerranéenne refit une apparition. J’étais surpris, car ces visions bénies sont ici plus rares que les éclipses. Deux fois dans la même journée relevait du miracle. Le Général Khichpich suivit la trajectoire de mon regard, et il la vit. Il ne devait pas l’avoir remarquée auparavant car il eut un moment de flottement et il ne put s’empêcher de saliver, avant de se reprendre. Trop tard, son appareil se mit à sonner, une voix mécanique en émanait : « code red, code red ». L’appareil affichait un message en rouge que je pus lire furtivement :

« Interpeller l’auteur de cette pensée, faire usage de son arme de service si nécessaire »

Le Général Khichpich – qui fantasmait manifestement en Français – ne pouvant pas s’arrêter lui-même me regarda, il me gracia d’un regard, puis il partit. Il était devenu clair pour nous deux que l’Miricane n’allait rien changer à la donne, un mec ça reste un mec. On pourrait à la limite calmer les ardeurs des siffloteurs, des goujats et des intrusifs, mais ça, ça se fait un peu plus tôt, à la maison ou à l’école.

[1] Les USA