Madame la Présidente, mesdames et messieurs les jurés, « Un esprit sain réside dans un corps sain », voilà en gros ce que dit l’adage populaire. Mais qu’en est-il lorsque, obnubilés par la quête de ce corps saint, on en vient à perdre l’esprit. Qu’en est-il lorsque, hantés par les icônes de la mode ou de cinéma, on en vient à renier nos semblables, nos frères et sœurs dodu(e)s, (ou perçus comme tels). Je vais plaider aujourd’hui pour eux, ceux et celles qu’on a décrété informes au regard des standards de l’audiovisuel. Les carencé(e)s en sourires aguicheurs, les orphelin(e)s aux œillades de la convoitise, bref, ceux qui ont des faux profils.
Chaque jour, à chaque clic, nous sommes bombardés par des stéréotypes d’hommes et de femmes aux mensurations parfaites (quoi que ce mot veuille encore dire) qui font l’apologie de produits qui ne vont qu’à eux. C’est joli, mais qu’en est-il de nous autres, les êtres humains, la deuxième démarque (si on en croit l’air du temps) ?
Madame la Présidente, mesdames et messieurs les jurés, au moment où je m’adresse à vous, des hordes de rêveurs acharnés succombent à la tentation souscrire à ces mensurations absurdes, les croyant garantes des faveurs du sexe opposé. Captifs de leur propre regard, sous perfusion de mirages, ils plongent dans une spirale insensée qui les amène à commettre des actes plus absurdes les uns que les autres :
- Peser la nourriture en dehors de temps de guerre ou de pénurie.
- Refuser de la nourriture gratuite alors qu’ils ont faim.
- Vénérer de nouveaux aliments dont on peine à prononcer le nom.
- Se mettre à courir sans l’ombre d’un danger imminent.
- Soulever des poids qui n’ont pas besoin d’être déplacés.
- Fixer longuement des miroirs parfaitement propres.
- Fréquenter des personnes qui présentent les mêmes troubles du comportement.
Saint de corps, peut-être, mais leur esprit est à examiner. Il n’est pas plus cruel regard que celui qu’on porte sur soi-même, Madame la Présidente, mesdames et messieurs les jurés, encore plus lorsque celui-ci est biaisé. Il vous taillade l’esprit et vous crible de jugements jusqu’à vous mettre à genoux. D’autres que nous en ont fait les frais, jusqu’à en payer le prix ultime. Narcisse[1], paix à son âme, bien qu’il fût auréolé par toute la beauté que l’univers avait à offrir, a succombé au magnétisme de son propre regard. C’est vous dire.
« On prépare le iron-man[2] », me disent des amis enthousiasmés, avec leur creuses et leur yeux lointains. Je souris, mais je ne comprends pas ce qu’ils me racontent. Comment faire iron-man sans costume ni effets spéciaux ? En puis, je ne vois pas comment on peut apprendre à voler en si peu de temps, ou alors pénalement. Ces propos sont d’après moi les effets secondaires d’une malnutrition avancée, ce qui me fait venir au cœur de mon propos : nous avons envers ces gens un devoir nutritif imminent.
Nourrissons ces pauvres affamé, Madame la Présidente, mesdames et messieurs les jurés, faisons-le avec l’insistance et l’acharnement d’une mère bienveillante. Faisons usage de Nutella si nécessaire. Faisons-leur recouvrir le goût apaisant du sucre et des matières grasses. Rendons-leur le plaisir de déboutonner leurs pantalons après un repas bien gras et bien copieux. Car le gras Madame la Présidente, Mesdames les jurées, le gras c’est la vie !
[1] Héros de la mythologie grecque, Narcisse tomba amoureux de son propre reflet dans l’eau ; il se laissa mourir de langueur.
[2] Super-héros de film et de BD. C’est aussi le nom donné à l’un des plus longs formats de la discipline du triathlon.