Quand on allait à la mer, il y avait trois groupes distincts dans la famille :
– Ceux qui partaient se baigner : les gamins et quelques adultes,
– Ceux qui allaient surveiller les gamins : une mère et deux tantes,
– Ceux qui partaient pour s’empiffrer : tous les autres.
Mon oncle Radi faisait partie de « tous les autres ». Il en était le spécimen le plus représentatif : ceux qui partaient à la plage pour se goinfrer sous couvert de villégiature. Il n’avait d’ambitions que pour son ventre. Sa vie était simple, c’était celle d’un gastropode .
Avec lui, on allait à la mer comme irait à une zerda: il ramenait dans ses bagages de quoi nourrir une nation sous embargo : salades marocaines, tajines aux boulettes de sardines (qu’il préparait in situ), tanjia,, kour3ines, mdfoun. Oncle Radi n’avait peur de rien. Le vendredi c’était couscous, obligé.S’il y avait du vent, c’était couscous au sable, excellent pour la santé car très riche en sels minéraux. Il disait qu’aller à la mer ouvrait l’appétit, mais jusqu’à quel point un appétit peut-il s’ouvrir ?
Les limonades et la pastèque étaient mises à refroidir au seuil des vagues en attendant que leur temps arrive. « Va voir si le coca est encore là ! », « fais attention à ce que la mer n’emporte pas la pastèque ». Nous autres gamins avions la mission cruciale de surveiller un dessert qui menaçait de quitter le territoire national. Nous étions pour un temps des « Bergers pour pastèques et limonades », le titre le plus ingrat de l’histoire des emplois non rémunérés.
Et on loupait une baignade pour ça !
Après des ripailles majestueuses, point focal du périple, tout le monde s’allongeait à l’ombre d’un parasol dévoré par le soleil, le ventre offert au ciel, les rots confiés au vent, tout en transpirant nos calories fraîchement acquises. Nous étions aussi gracieux que des baleines échouées sur le sable. Pendant ce temps-là, un radio transistor portable aux piles ensablées hésitait entre deux stations de radio. Il crachait ce qu’il pouvait comme son, du bruit essentiellement. On chantonnait quand même, car on avait le ventre plein. Oncle Radi planifiait déjà le repas suivant. Il avait commencé à ce faire depuis la mi-tajine, après avoir abattu trois entrées. Il marmonnait des noms de plats sophistiqués avant de s’endormir, ensuite il ronflait.
Autour de nous c’était l’après Waterloo : des cadavres de pastèques, des os de poulet, des bouteilles et des plats qui portaient les traces de nos assauts victorieux gisaient par terre. Bref on avait mangé.
Une tante un âgée nettoyait comme elle savait le faire : c’est à dire en jetant nos restes le plus loin possible dans la plage. On la voyait revenir en trébuchant, ample comme un parasol, flanquée d’un chapeau en forme de parabole. Je l’aimais bien ma tante, mais Il y a des gens à qui la mer ne va pas.
Devenu Ados, on commençait à être gêné par les manières des nôtres, surtout quand on frimait sur les filles avec nos faux abdos, dus au simple fait que nous étions chétifs. C’est à ce moment stratégique que nos mères nous appelaient dans un hurlement nutritif :
– Marocain.cooooooooom, viens manger, c’est prêt.
On envisageait de ne pas répondre, on hésitait à renier les nôtres, on marquait un temps d’arrêt avant de céder à la faim et au pragmatisme :
– Oui maman j’arriiiiiiive.
Demain il y aura d’autre plages et demain il y aura d’autres filles.
Tes écrits sont vraiment drôles et très agréables à lire. Je ne sais même pas comment j’ai atterri ici mais j’y ai passé une chouette demi heure ! Bonne continuation, hâte de lire la suite
Merci beaucoup pour le commentaire encourageant Yasmine. Je te rajoute (avec ta permission) à la newsletter pour de te faire suivre par mail les publications à venir.
Bonne semaine à toi.