Petit, je classais les plagistes en trois catégorie : les Terriens, les Merriens les et Summériens (voir article précédent). Les Merriens, c’était nous autres, les gamins, des amphibiens, des particules solubles dans l’eau. L’été, notre vraie vie commençait.
Nous étions restés en veille toute l’année durant à attendre l’appel de l’eau. Nous étions une armée qui enfin se révèle au grand jour, les enfants cachés de l’Atlantide. Réunis à la faveur de l’été, pour le meilleur et pour l’empire, longue vie à la mer, longue vie à l’Atlantide[1].
Une fois dans l’eau on n’en sortait plus, ou alors sous la menace.
Après trois jours à la plage, on finissait par tous se ressembler (comme tout corps d’armée qui se respecte). Corps fluet, dos cramés, avec des têtes bien plus grosses que le reste de nos corps, tout prêtait à croire qu’on avait des branchies. L’évolution à l’envers était en marche, nous redevenions poissons le temps d’un été.
Dans la communauté des Merriens, il y’avait le corps d’élite des Super-Têtards. Une unité de Super Merriens aussi prestigieuse que jalousée. Une de leurs spécialités consistait à surfer des vagues à même le torse sur des distances impressionnantes. C’était comme regarder les enfants cachés de Superman et d’Aquaman[2]. Preuve encore s’il en fallait que nous fussions de fiers Atlantes. Nous autres simples têtards essayions de faire pareil sans jamais y arriver. Ils étaient les élus de la mer.
Seulement voilà, s’ils étaient capables de prouesses surhumaines, les Super-Têtards pouvaient aussi causer des dégâts irrémédiables, car « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
Il arrivait en effet qu’on se prenne un Super-Têtard dans la figure. Celui-ci surfait une vague à la vitesse d’un hors-bord qui transporte du shit en méditerranée. Le choc était impressionnant. On ne savait plus si on était morts ou vivants. Le Super-Têtard, qui n’avait même pas mal, nous en voulait presque d’avoir brisé un élan qu’il reprenait aussitôt. Ensuite, comme si ça ne suffisait pas, un shore-break[3] venait nous achever, nous faisant boire la moitié la mer, sinon plus. On appelait la machine à laver, c’était peu dire.
La mer, dans sa clémence, finissait par nous recracher dans le sable avec une bosse naissante et des idées confuses. On venait d’échouer à l’examen de Super–Merriens.
C’était le seul moment où on sortait de l’eau de notre plein gré.
Une âme charitable ou un(e) frangin(e) venue en mission « sir chouf khouk » (va voir où est ton frère) nous ramenait auprès des nôtres pour mendier du réconfort.
- « Malou taybki ? »; pourquoi est-ce qu’il pleure ?
- « Rah darbatou mouja» ; une vague l’a giflé.
Pour les grands, c’était noël en été. Ils se hâtaient de pratiquer leur hobby préféré : faire la morale. Parents, oncles, tantes, badauds et passants, tous se prenaient au jeu des remontrances :
« Il ne faut pas nager avec les grands » ;
« Je t’avais dit de rester près de la mousse » ;
« Il ne faut pas…, je t’avais dit… Il ne faut pas…, je t’avais dit… ».
Les adultes adorent avoir raison, ça leur permet d’oublier leurs erreurs pour un moment, car être juge, c’est ce qu’il y’a de plus confortable dans la vie.
Aujourd’hui, quand je peux, je fais pareil. C’est vrai que ça fait du bien.
Après l’averse de sermons, et jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure, père ou mère appelaient le vendeur ambulant pour acheter notre silence. On en pleurait de plus belle pour rajouter à la manne. Ensuite, on avait alors droit aux analgésiques les plus puissant du monde ancien : squimo, labani, khringo. Du sucre déguisé en friandises, plus riches les unes que les autres en ce que le Maroc avait de mieux à offrir en termes de germes et de bactéries. Nous nous en régalions. Ça valait presque le coup de presque se noyer.
On avalait notre pot-de-vin, puis on repartait nager.
[1] Cité sous-marine de le mythologie Grecque.
[2] Roi de l’Atlantide.
[3] Vague puissante qui a la particularité de se briser près du rivage.